Il n’y a qu’un seul capitaine dans un bateau! L’adage est universel et
ne souffre d’aucune contestation, nulle part. Encore moins au Burkina Faso, où
le capitaine Ibrahim Traoré, le maître du jeu de chaises musicales au sein du
Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) a tombé, par
les armes, le 2 octobre, le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui, lui-même,
avait chassé du palais présidentiel de Kossyam…par les armes, le désormais
ancien président démocratiquement élu, Roch Marc Christian Kaboré.
Un président, 25 ministres et 71 députés
Après le concert des armes qui a
rythmé, sur deux jours, le quotidien de Burkinabè qui croyaient que le temps
des coups d’Etat était définitivement révolu, des assises nationales ont permis
au capitaine, selon la célèbre formule de son prédécesseur, de «lutter pour
quelque chose» et de garder «la chose». IB, comme on l’appelle dans les rues de
Ouagadougou, est donc devenu président de la transition, chef de l’Etat, et
chef suprême des armées. Il devrait s’appuyer sur un gouvernement de 25
ministres et une assemblée de la transition de 71 députés désignés. Il devra,
en principe, veiller au respect de la durée de deux ans de transition fixée par
la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), et
organisera des élections prévues pour au plus tard le mois de juillet 2024.
Tout est donc clair selon la Charte de la transition qui interdit au président
de la transition et à son Premier ministre de s’aligner dans les
starting-blocks de cette compétition électorale. Et s’il démissionnait quelques
jours avant les élections le capitaine pourra-t-il, entrer dans l’arène, pour
reprendre, par les urnes, le fauteuil qu’il a conquis canon en l’air?
Interrogation qui trouvera, sans doute, réponse en son temps.
Quand deux capitaines se retrouvent…
Le capitaine, pour sa première
sortie officielle en tant que chef de l’Etat, a rendu visite à un autre
capitaine, venu également au pouvoir à 34 ans comme lui, après un putsch
militaire comme lui, mais mort un jeudi noir du 15 octobre 1987. Au mémorial
érigé en l’honneur de Thomas Sankara, le père de la révolution burkinabè et
héros de la jeunesse africaine, puisque c’est de lui qu’il s’agit, IB a reçu le
«flambeau de la révolution». Tout un symbole, déployé à l’occasion du 35è
anniversaire de l’assassinat de Thom Sank, pour demander sans doute, au jeune
capitaine, de continuer le combat du supplicié du 15 octobre 1987, envoyé ad
patres, comme douze de ses compagnons de lutte, par un commando armé, au conseil
de l’Entente de Ouagadougou, siège du Conseil national de la révolution.
Et les terroristes dans tout ça?
En tout cas, le combat
prioritaire, le seul pour IB, actuellement, c’est celui de rétablir et
renforcer la sécurité sur le territoire burkinabè où des terroristes et autres
Hommes armés non identifiés (HANI) se sont enkystés et sèment mort et
désolation, allongeant sans cesse le chapelet des Personnes déplacées internes.
Pas plus tard que ce samedi, comme s’ils voulaient faire un pied de nez au
nouveau capitaine du navire battant pavillon rouge-vert frappé d’une étoile
jaune, les hommes armés ont, à Bouroum dans le centre-nord du Burkina, tendu
une embuscade à une unité mixte de soldats et de Volontaires pour la défense de
la patrie (VDP). Le bilan provisoire fait état de 12 morts, dont quatre soldats
et huit supplétifs de l’armée, et cinq personnes portées disparues. A moins que
ce soit une manière pour les terroristes de rappeler aux militaires que
l’ennemi n’est pas à Ouagadougou, et encore moins au palais présidentiel.
Le messie que les Burkinabè attendaient?
Le capitaine Ibrahim Traoré, à en
croire les résultats des assises nationales éclair de 48 heures chrono, les
positions de nombre de leaders politiques et les manifestations de rue,
pourrait être le messie que le Burkina attendait, du fond du gouffre qu’il a
atteint depuis au moins huit années. Faire sortir le pays des Hommes intègres
de ce trou profond dans lequel il est plongé, est loin d’être un défi
impossible pour le capitaine Ibrahim Traoré et ses hommes. Mais ils doivent se
concentrer sur les priorités de l’heure, s’attaquer à l’ennemi, le bon, et
éviter des pièges dont les premiers ont pour noms le populisme rampant et le
gouvernement par les réseaux sociaux alors qu’une bonne partie de la société
civile et de l’opinion est prise au piège des infox et de la complotite.
Quelques pistes
Les nouveaux maîtres de
Ouagadougou pourraient également s’appuyer sur ces quelques réflexions d’un
lecteur de Wakat Séra qui est partagé entre optimisme et pessimisme: «On a
comme l’impression que dans l’opinion il y a des attitudes plus
impulsives et de précipitation. La crainte aussi, c’est les signes du
recul de la démocratie avec un discrédit irrationnel jeté sur les élites de ce
pays, les gens intelligents, les hommes de sagesse, les civils politiques
probes. Face à cela émerge dangereusement le militarisme, l’autoritarisme et le
nationalo populisme. Sans oublier, alors que crient les populistes putinophiles
et autres nostalgiques normaux mais anachroniques du sankarisme et que, pendant
que la rue cherche le messie, donc celui du jour IB, les djihadistes nous
humilient. Si bien qu’il faille se demander si le problème c’était Damiba ou
demander à ce dernier si le problème c’était Roch.»